L’Astrolabe avance dans la brume. L’eau est calme. Les mariniers sont attentifs, tendus : les plaques de glace, trop épaisses pour être fendues par le navire, n’apparaissent que lorsqu’elles sont à une vingtaine de mètres. Au-delà, tout se perd dans le brouillard. L’atmosphère a quelque chose de mystérieux.

Petit à petit, la brume se dissipe et le soleil devient rougeoyant. Un décor surréaliste s’installe. Magnifique. Des morceaux de glace s’étalent jusqu’à l’horizon, lui-même entrecoupé çà et là d’immenses icebergs. Un astre mêlant d’étranges nuances de rouge, orange et doré colore l’eau par endroits. La partie immergée des blocs de glace est d’un bleu clair, lumineux. Les teintes sont telles que le paysage semble avoir été retouché par un graphiste. De temps à autre, un manchot dressé sur une plaque de glace à la dérive vient ajouter au charme de la scène. L’air est clair, maintenant, et le décor s’étale à perte de vue tout autour de nous.
Je n’ai jamais, je crois, été autant touché par la beauté d’un paysage. Plus que de simplement l’admirer, comme on contemplerait une vallée depuis un sommet, je suis plongé dedans. Parfois, je prends des photos avec l’espoir qu’elles m’aideront à décrire cette nuit à mes proches. Je suis pourtant bien conscient que ces images seront loin de transmettre l’atmosphère qui règne ici. Chaque fois que je range mon appareil, je suis tenté de le ressortir : la forme des blocs de glace a changé – à moins que ce ne soit leur densité ou l’orientation du navire par rapport au soleil, ou encore la présence d’un animal – et le paysage est totalement différent.
La nuit ne tombe pas à cette latitude et à cette période de l’année ; l’aube suit l’aurore. Je reste de nombreuses heures debout, silencieux, immobile ou changeant de point d’observation. Sorti en début de soirée, je suis sur le pont lorsque le matin s’installe.


Nous restons une semaine supplémentaire sur l’Astrolabe, naviguant en permanence pour éviter qu’un piège de glace ne se referme sur nous. Puis un groupe de Dumont d’Urville prend notre place et nous prenons la leur.
La station côtière ressemble à un ensemble de containers, disposés sur des roches et de la neige et reliés, pour certains, par des passerelles en métal. Une colonie de manchots Adélie vit là, autour et à l’intérieur de la base, élevant leur progéniture duveteuse. On nous donne pour consigne de ne pas trop nous en approcher pour éviter de les déranger. Eux n’ont pas ces scrupules : curieux ou mal lunés, ils viennent nous observer ou nous brailler dessus.


Je profite de la faune. Les manchots Adélie, bien sûr, dont je ne me lasse pas : ils se volent des cailloux pour agrandir leurs nids, se crient dessus, se donnent des gifles, trébuchent et nous observent. Les pétrels des neige, aussi, dont le blanc tranche sur les roches. Les skuas également, ces grands oiseaux bruns qui viennent tuer et emporter dans leurs propres nids les plus chétifs des oisillons Adélie. Ces nids, d’ailleurs, évoquent ceux de dinosaures : larges, sur la pierre, ils sont jonchés de sang, d’os et de chair. Au centre trônent des oisillons à l’air grincheux. Leurs parents m’attaquent lorsque je fais un footing, fonçant vers moi et s’arrêtant au dernier moment, les ailes écartées. Il n’est pas rare qu’ils donnent des coups de patte à l’arrière de la tête de ceux qui, selon eux, s’approchent trop de leur progéniture. Une ornithologue me confie que ces oiseaux lui arrachent parfois son bonnet pour le lancer dans des rochers en contrebas, l’obligeant à escalader pour le récupérer. Nous avons également la chance d’observer de près un léopard de mer, un imposant phoque prédateur venu chasser les manchots.





Enfin, le 22 janvier, un hélicoptère nous dépose à un point de décollage. De là, un avion léger nous porte à Concordia. Le voyage de 1 200 kilomètres nous donne quelques heures pour réaliser à quel point nous serons isolés. Nous ne survolons que de la neige ; pas une plante ni un animal, juste un désert blanc. Et puis, d’un coup, des installations. Quelques containers orange ou blancs servant de laboratoires scientifiques ou d’entrepôts, des télescopes, mais surtout la base : deux tours blanches reliées par un couloir. Après presque 3 semaines de voyage, je découvre enfin Concordia.




Je suis le dernier de mon équipage à arriver. Les autres m’accueillent avec un collier de fleurs (en plastique), une pancarte de bienvenue, de larges sourires et des perles de glace dans la barbe et les cheveux. Le paysage est magnifique. Je suis presque euphorique, heureux d’être enfin ici.
Bonjour Cyprien, MERCI pour ce blog super sympa, super bien fait et qui permet de garder « le contact » avec toi ! Franchement c’est un régal. Merci pour les textes, très beaux, en tout cas sans doute aussi beaux que les paysages que tu as pu découvrir jusqu’à présent 😉 et évidemment aussi merci pour les (superbes) photos qui accompagnent tes mots si bien écrits (et parfois adorablement poétiques…). Avec tout le boulot que tu as sur Concordia (notamment en tant que chef d’expé), que tu trouves encore un peu de temps pour nous faire partager ton univers et tes impressions, c’est franchement super génial de ta part ! Encore merci à toi Cyprien, très bon courage et meilleures pensées, Jean-Michel 😉 🙂
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Merci beaucoup pour ce message très sympa ! Ce genre de commentaire me donne envie de continuer à écrire malgré le peu de temps libre que nous avons ici.
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Message sympa, peut-être cher Cyprien, mais en tout cas très largement mérité ! Bonnes Pâques sur… Mars la blanche (les œufs colorés ne devraient pas être très difficiles à débusquer sur la neige et la glace ! lol !!!) 😉 , pensées très amicales et sincèrement très bon courage à toi et à toute l’équipe de scientifiques que tu supervises. Ciao, ciao et Amitié 😉 🙂
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Cyprien, bonjour je viens de découvrir ton blog et tes récits
C’est passionnant vraiment et mille mercis de nous faire partager ces paysages incroyables et moi qui ait eu la chance d’obser des aurores boréales, je n’avais et je verrai sans doute jamais d’aurores australes …super
Milles Mercis encore
Amicalement
Joël
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