Midwinter

Jeudi dernier était le jour le plus long de l’année. Pour vous en tout cas, si vous me lisez dans l’hémisphère nord : ici, c’est le milieu de la nuit. Nous pouvons seulement apercevoir un peu de lumière au-dessus de l’horizon, vers midi, quand le ciel est dégagé. Juste quelques lueurs, pas suffisamment pour masquer les étoiles ; comme au tout début d’une aube, comme si notre astre était sur le point de se lever. Mais il change rapidement d’avis : les lueurs disparaissent totalement en début d’après midi

Depuis des semaines, le mercure passe fréquemment en-dessous de -70°C (figurativement ; ce métal gèle à une trentaine de degrés de plus) et le vent nous amène régulièrement en-deçà des -85°C ressentis. Cela fait plus d’un mois que nous n’avons pas vu le Soleil, dont le dernier fragment a disparu début mai sous l’horizon.

Au plus sombre de cette nuit froide et interminable, le moral d’un équipage baisse naturellement. C’est l’une des raisons qui poussent à célébrer Midwinter, une fête née en 1902 pendant la National Antarctic Expedition commandée par Scott (qui, plus tard, mènera la seconde expédition atteignant le Pôle Sud, battue de peu par l’équipage d’Amundsen). Elle est depuis célébrée par tous les équipages hivernant sur le continent blanc, avec plus ou moins d’intensité selon les stations.

A Concordia, l’une des trois seules bases hivernantes éloignées de la douceur relative de la côte, c’est la fête la plus attendue de l’année. Cet hiver, les célébrations y ont duré quatre jours.

Le premier soir, nous nous sommes détendus sur une île. Après un dîner exotique pris dans le salon (précédemment habillé en jungle avec une faune et une flore de carton et de papier), nous sommes descendus dans la salle vidéo – un local habituellement presque vide, simplement équipé d’un ordinateur relié à un projecteur qui permet de visionner des films sur le mur.

Elle était méconnaissable. Un filet de volleyball avait été maquillé en vieux filet de pêche, pendu le long d’un mur et agrémenté de crustacés et coquillages en origami. De grands oiseaux exotiques, nés de carton peint, étaient perchés çà et là. Le câble du vidéoprojecteur était devenu une liane ornée de feuilles en papier, et les fils électriques qui en pendent s’étaient transformés en tiges de fleurs tombantes, en papier elles aussi. De magnifiques palmiers de carton et de bois renforçaient l’exotisme. On entendait le murmure de deux fontaines fabriquées par l’équipage, l’une grande et remplie d’eau et l’autre, plus petite, dispensant un cocktail rouge. Un bar de plage était installé dans un coin. Des lampes à aube – de celles qui vous réveillent en imitant un lever de soleil – donnaient une luminosité crépusculaire. Sur un mur était projetée une vidéo de plage et de mer. Des chauffages d’appoint augmentaient suffisamment la température pour que les équipiers viennent en maillots de bain.

Lorsque nous sommes descendus dans cette salle, une fondue au chocolat nous y attendait, complète avec des morceaux de fruits (issus de boîtes de conserve) à enfiler au bout des piques. Nous avons ensuite disputé des matchs de beach-volley – avec un ballon de baudruche et des règles légèrement adaptées. Plus tard, lorsque le sommeil a commencé à nous abrutir, nous avons installé des matelas autour d’un simulacre de feu et campé là.

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Au bord de la mer. Crédits : CV, ©PNRA/IPEV.

Les jours suivants ont été à la hauteur de ce premier soir. Nous avons élu Miss Concordia, une tradition ici : les hommes, élégamment maquillés et vêtus de leurs plus belles robes, ont disputé diverses épreuves sous le jugement impartial des femmes – elles-mêmes arborant une pilosité faciale inhabituellement fournie et leurs tenues les plus viriles. Nous avons partagé un banquet digne d’une fin d’album d’Astérix vêtus en gallo-romains (les italiens en romains, les français en gaulois). Nous avons organisé un dîner-spectacle où, dans un décor de cabaret, les équipiers se sont divertis les uns les autres avec des numéros et des jeux. Le dress code, « chic et choc » (tenue chic agrémentée d’un détail choc), n’a rien enlevé à l’amusement. Diverses activités inhabituelles ont comblé les plages horaires séparant ces évènements.

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Le jury de Miss Concordia (les photos des candidats ont malencontreusement été broyées, brûlées, aspergées d’acide et enterrées dans un puits de neige dont l’emplacement a été oublié depuis). Crédits : CV, ©ESA/PNRA/IPEV.
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Alberto, le médecin, fabriquant son constume de centurion à partir de carton, de plâtre, de quelques pièces de métal et d’un vieux balai-brosse. Puisque l’on n’a pas accès au commerce, chaque soirée à thème donne lieu à de nombreux bricolages. Crédits : CV, ©PNRA/IPEV.

Chaque année, les bases Antarctiques hivernantes échangent des cartes de vœux par email ; la nôtre sert d’en-tête à cet article, et toutes peuvent être admirées sur le blog de mon homologue à Dumont d’Urville. Deux jours avant le début des festivités, nous sommes sortis de la base pour effectuer la photo de groupe utilisée à cette fin. Dehors, nous avons remarqué des lueurs verdâtres dans le ciel. Elles se sont plus tard précisées : une aurore australe. La semaine commençait remarquablement bien.

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L’astronome Marco B. et moi sous l’aurore australe. Crédits : Marco Buttu, ©PNRA/IPEV.

Notre charge de travail réduite au minimum, nos activités absurdes et nos décors loufoques ont eu un impact important sur le moral et la cohésion de notre équipage. Et nous avons passé un cap, subtil mais bien présent dans nos esprits : nous ne nous enfonçons plus dans la nuit. Le Soleil se rapproche maintenant de l’horizon.

 

2 réflexions sur “Midwinter

  1. Lionel dit :

    Bonjour a tous
    Je rêverais d’être avec vous. Vous m’invitez quand 😁?
    Merci pour votre blog je le lis avec envie. J’aimerais beaucoup faire de l’astronomie et de la radio là bas !

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